« Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas » Napoléon Bonaparte
17 et 24 novembre 2018 : est-on en train de revivre 1789 ?
En tout cas c’est ce que semblent avoir cru nos dirigeants. Que craignaient-ils pourtant ? La loi El Khomri et les ordonnances Pénicaud étaient passées comme une « lettre à la poste », plus exactement l’exécutif s’était assis sur la représentation syndicale en l’ignorant purement et simplement.
Les collectivités locales étaient tout autant méprisées par ce même exécutif qui mettait systématiquement en place, suivant ses prédécesseurs, un contrôle extrêmement strict visant à les transformer à terme en simple centres de coûts.
De même, on avait carrément insulté les personnes âgées en disant aux retraités que c’est eux qui allaient payer pour les autres.
Le président Macron paraissait alors surfer sur la vague, dans le sens où rien ne lui résistait.
En même temps, certes, quelques aspects pouvaient être gênants :
- Le fait que l’exécutif ne représente qu’en gros un quart des français, le taux de participation aux législatives de 2017, les élections les plus importantes dans les vraies démocraties, avait été inférieur à 50%
- D’autre part on avait méprisé les salariés et le « vieux monde » avec les lois travail ci-dessus, mais, tout à coup, c’était une autre population qui semblait entrer en rébellion, celle, pour faire simple, des petits artisans et des auto-entrepreneurs, semble-t-il plus chère à leur cœur.
On n’a pas, à vrai dire, tellement plus d’explications. Dit de manière plus générique, on ne peut expliquer une soudaine prise de conscience que par la réalisation que les élites sont totalement déconnectées, en fin de compte, des préoccupations des gens d’en bas. Ce n’est pas nouveau non plus. C’est même en quelques sorte à l’honneur de ce gouvernement d’avoir eu cette prise de conscience qui n’a pas effleuré, par exemple, Hollande qui est allé tranquillement jusqu’à la défaite sans jamais se remettre en cause. Dont acte !
Avant d’attaquer le déroulé des faits et pour ne plus y revenir, on rappelle deux documents écrits par l’auteur qui alertaient déjà sur ce manque de démocratie inhérent à la Vé république en France :
- LA CONVERGENCE DES LUTTES – POURQUOI ET COMMENT ? – mars 2018
- VIème république : la constitution de vos rêves – novembre 2016
© Serge Darré
Le mouvement des « Gilets jaunes » (on ne mettra plus de guillemets) démarre par une forte mobilisation. On attend, pour le premier samedi, le 17 novembre 2018 de très nombreux blocages que ce soit filtrants sur environ 2 000 ronds-points, ou parfois quasi bloquants comme sur certaines routes. On s’attend aussi à des attaques directes spécifiquement contre les péages d’autoroutes, les radars et même certains automobilistes ou camionneurs refusant de s’arrêter.
Les forces de sécurité : police et gendarmerie, déjà très sollicitées récemment, vont devoir être réparties sur tout le territoire et faire avec peu de moyens. En outre, et c’est de là que tout va démarrer, le ministère de l’intérieur, qui scrute les réseaux sociaux, croit savoir que les Gilets jaunes vont chercher à s’introduire dans l’Elysée, Matignon ou autre lieu de pouvoir comme l’Assemblée nationale. Ceci n’est pas d’ailleurs qu’une erreur, il y a eu des appels bien réels de personnes comme Eric Drouet et les G.J., partout, sans concertation préalable à ce qu’on sache, manient des symboles de 1789 : ils arborent le drapeau français et chantent la Marseillaise, certains portant aussi le bonnet phrygien.
Dans le « cercle du pouvoir », comme on dit, on ne craint pas moins qu’une répétition de la journée du 6 octobre 1789 où le peuple de Paris est venu chercher le roi et la reine à Versailles pour les obliger à venir résider à Paris.
C’est sur cette base que le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, se souvenant sans doute qu’il a été un excellent joueur de poker, va tenter un coup … de poker. Il va consacrer l’ensemble des troupes parisiennes à la défense des seuls lieux de pouvoir. Ne laissant qu’une seule compagnie pour s’occuper de tout le reste de la capitale. Le coup de bluff va alors consister à faire charger cette unique compagnie le samedi matin à 9h50 (on n’a pas réussi à retrouver l’heure exacte). On espère ainsi dégager les Champs-Elysées, puisque c’est là que cela se passe et qu’un maximum de gens rentreront chez eux.
Cependant les choses ne vont pas se passer comme prévu « dans le meilleur des cas » :
- Les G.J., tout d’abord, sont pour la grande majorité des primo manifestants, n’ayant pas, dès lors, l’habitude de courir dans l’autre sens à la première charge des CRS
- Ils sont, d’autre part, tellement convaincus de leur bon droit, qu’ils ne comprennent tout simplement pas ce qu’ils considèrent comme une agression,
- Étant, d’autre part, souvent des ruraux ils sont un poil plus « rustiques » que les salariés des administrations et grandes entreprises participant aux manifestations structurées
- D’autre part, les effectifs de police sont insuffisants pour empêcher les manifestants chassés des Champs d’y revenir par des rues adjacentes
- Enfin, le degré d’impréparation est tel que les G.J. n’auront aucun mal à trouver sur l’avenue toutes sortes d’objets contondants pour se défendre à partir, notamment de chantiers en cours.
Résultat : forces de l’ordre et manifestants vont effectivement s’affronter pendant en gros 12 heures, devant les caméras des chaînes d’info. Il y a des blessés de part et d’autres et, en fin de journée, les forces de l’ordre ont épuisé tout leur stock de gaz lacrymogène. Ceci étant effectivement inhabituel dans un contexte français, mais bon !
A un moment donné, quelques centaines d’entre eux atteignent même la rue du Faubourg saint-Honoré ; ils sont à quelques pas du palais de l’Elysée ! S’ils avaient été 300 de plus, ou si une partie de la banlieue s’était jointe au mouvement, peut-être auraient-ils réussi à forcer le barrage des forces de l’ordre ? Et à tirer le couple Macron (Cf. louis XVI et Marie-Antoinette) de son lit ? Peut-être. Mais ces 300 personnes ne sont jamais venues !
Une semaine après, le 24 novembre, nouvelle manifestation au cours de laquelle les G.J. vont être coincés place de l’Etoile et se répandre dans les avenues adjacentes. C’est ce jour-là que le monde entier va découvrir des images de voitures en feu dans Paris. Cependant, il faut insister là-dessus, des observateurs expérimentés ont souligné qu’il n’y a pas eu plus de dégradations qu’une nuit de la Saint-Sylvestre « normale » ou suite à la « fête » célébrant la victoire en Coupe du monde la même année.
Et c’est tout ? Oui, en gros c’est à peu près tout. Sauf à rappeler que les chaînes info, notamment BFM TV, mais pas seulement eux, ayant fait une audience record au cours de ces deux journées, ne sont pas prêtes à lâcher l’affaire. Leurs plateaux sont pendant plusieurs semaines consacrées quasi exclusivement à la « Crise » des Gilets jaunes.
Les Gilets jaunes, à qui a-t-on affaire ?
Déclarations des Gilets jaunes, quelques exemples :
- Les élus sont tous corrompus
- Les députés devraient être payés au SMIC
- Les syndicats sont des pantins du gouvernement
- Les journalistes sont tous pourris
- Je ne bougerai pas de ce rondpoint tant qu’on ne me donnera pas 300 euros de plus par mois
- Il faudrait réduire la TVA sur les produits alimentaires
On n’a pas mis les guillemets mais en même temps aucune phrase n’a été altérée.
Mouvement issu de la base, auquel l’auteur de ces lignes a souscrit dans un premier temps car favorable au gel de la taxe carbone, mais base avec tout ce que cela implique :
- Haine envers tousceux qui semblent émerger en leur sein, jusqu’à des menaces de mort
- Attaques virulentes contre la presse, par exemple en empêchant la Voix du Nord de paraître
- Attaques contre les élus (et un restaurateur de Toulouse), pas toujours revendiquées, mais justement, on ne sait plus qui est qui et tous les bas instincts ressurgissent
Outre une colère liée à leurs difficultés matérielles, la haine, l’ignorance et la jalousie sont trois moteurs importants de leur action.
Alors que faut-il en penser ? On pense qu’il faut respecter tout le monde, même ceux qui n’ont aucun diplôme et qui n’auraient peut-être rien à perdre à un renversement de la société. Il faut les respecter, mais, leur parole n’a pas non plus d’avantage de valeur que celle d’un enseignant, d’une employée de la grande distribution vivant en banlieue ou d’un cadre travaillant à la Défense. Quand on fait de la politique, on ne doit pas mélanger avec le religieux : « Les derniers seront les premiers ».
Or, si on considère que tout le monde vaut un (comment faire autrement ?), il faut rappeler que le 8 décembre, par exemple, ils étaient 8 000 à manifester dans Paris, soit beaucoup moins qu’une manifestation organisée par le CGT, et infiniment moins que les grandes manifestations contre le « Mariage pour tous ».
Et en province ? En province on s’en fout un peu, car si les voitures n’avaient pas brulé à quelques hectomètres des Champs Elysées tout cela n’aurait eu quasi aucun impact, comme une manif des infirmières !
Comme transition avec ce qui suit on peut remarquer aussi, concernant les G.J, qu’ils ne semblent pas en vouloir à aucun moment aux patrons. Or leurs revendications ont évolué principalement vers le pouvoir d’achat et ce sont tout de même les entreprises qui versent les salaires ! Leurs demandes sont adressées au pouvoir, à l’Elysée, comme si c’était l’Etat qui distribuait les revenus. Ce qui prouve aussi que s’ils ignorent certaines choses, comme le taux de TVA réduite, ils ont en revanche parfaitement intégré ce qu’est le social-libéralisme. On y revient dans un instant.
Les mesures prises (et à prendre), le social libéralisme dans toute sa splendeur
" Si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient vite " Talleyrand
La réponse à la « crise des gilets jaunes » a consisté :
- Tout d’abord à mettre en place d’avantage de mesures pour faire avaler la hausse des taxes, comme des primes massives pour un changement de véhicule
- Puis dans un package d’annulations, au moins pour la durée du quinquennat, des hausses de taxes sur l’énergie
- Enfin dans des mesures « sociales » annoncées le 10 décembre 2018, consistant pour l’essentiel en une annulation de la hausse de la CSG jusqu’à 2 000 euros de retraite (mais non de la non indexation), une augmentation massive de la Prime d’activité (impôt négatif) au niveau du SMIC, la défiscalisation des heures supplémentaires.
Le coût récurrent en année pleine de ces mesures a été évalué à 11 milliards par la Cour des Comptes, je pense qu’on est plus près de douze en incluant les mesures préventives.
Etait-ce bien indispensable vu que la journée du 6 octobre 1789 n’a pas eu lieu ? Ce qu’on peut dire dans un premier temps, c’est que des « 3 M », les noms de famille des trois principaux dirigeants européens, il n’y en a que deux qui ont réellement des burnes, ce sont Angela et Theresa.
Comme l’a déclaré le patron de la Bundesbank : Jens Weidmann à propos de ces mesures : « "Respecter le plafond de 3%" de déficit et "réduire le déficit structurel de manière appropriée" seraient la bonne voie à prendre surtout que "l'économie française se porte bien" et que "la dette reste très élevée" dans un contexte où il est désormais sûr que la dette publique va atteindre 100% du PIB dans les semaines ou les mois à venir.
La Cour des Comptes française a aussi fait le même constat un peu plus tard. On rappelle aussi que nous sommes (nous étions déjà avant ces mesures) le pays ayant les prélèvements obligatoires et les transferts sociaux les plus élevés de l’OCDE, ainsi qu’un chômage supérieur à la moyenne.
Ce qu’il faut observer aussi c’est que ces mesures ont été décidées fin décembre, en principe trop tard pour une application début 2019. Sauf que le Sénat, en principe à majorité LR, les a votées en urgence. Syndrome du 6/10/1789, c’était la première fois qu’un parti votait le budget présenté par un autre parti sans discussion. La classe politique a donc fait corps. Ce qui montre aussi qu’ils n’ont aucune différence sur le fond. Marine le Pen parlait d’UMPS, il faut en réalité parler d’UPRM, soit la convergence idéologique des trois grands partis de gouvernement.
On en revient au sujet du social-libéralisme.
En fait le troisième « M » a aussi cru être malin : la prime d’activité et la réactivation d’une mesure « Sarkozy » sur les heures supplémentaires, il les avaient déjà en tête. C’est donc une simple accélération de mesures que ce fils de Hollande aurait prises à un moment ou à un autre. Notons d’ailleurs que les mesures pour les smicards ne sont pas raccord avec les demandes des G.J, qui ne sont pas tous smicards, loin de là. Et rappelons aussi que créer trop d’aides à ce niveau de rémunération comporte un risque avéré d’enfermer ces populations dans une « trappe à pauvreté », pour toute leur vie, c’est-à-dire qu’ils/elles n’ont aucun intérêt à demander d’augmentations de salaires sous peine de perdre un ou plusieurs avantages sociaux.
Et donc, quelle est la définition du social-libéralisme ? on ne va pas entrer ici dans les finesses de la théorie des idées politiques. Le S-L c’est de nos jours ce qui a été mis en œuvre concrètement par Blair en GB, Schroeder en Allemagne et Hollande/Macron en France. Il consiste en :
- Une foi totale dans les seuls mécanismes du marché d’un côté (acceptation des règles européennes très concrètement) et « cadeaux » envers les riches qui ont le pouvoir d’investir
- Des aides toujours plus sophistiquées et importantes envers les « plus pauvres » d’autre part, dans une optique généreuse, on veut bien, mais surtout clientéliste : en faire les obligés du pouvoir.
Il s’agit, comme on peut les observer « in vivo » de politiques orientées vers les 1% les plus riches et les 15% les plus pauvres. Et les 84% autres ? Ceux-là sont réputés vivre heureux dans le paradis social-démocrate et même prêts à donner toujours un peu plus, comme les cadres français par exemple.
Or les grands partis sociaux- démocrates ont connu de très importants revers électoraux ces dernières années : GB, Allemagne, Italie, France, Autriche … Tout d’abord, outre la pression fiscale qui a augmenté à des degrés divers dans tous ces pays, parce que les « plus pauvres » ne votent pas ou ne se voient pas comme tels, ou tout simplement ne veulent pas être considérés des assistés. En n’oubliant pas, si on veut faire un peu de théorie politique, que ce qui a été donné est vite oublié : deux ans après l’électeur a intégré l’aide mais ne sait plus qui l’a votée. D’où les 6% du PS à la présidentielle de 2017.
Cela ne poserait d’ailleurs pas tellement de problèmes d’un point de vue politique : l’UPRM se trouvera un autre représentant, ou peut-être même le même.
Oui, mais d’un point de vue social et économique, on ne peut pas, en regardant ce qui se passe au Venezuela, ne pas penser que le même type de conflit pourrait arriver assez rapidement en France. Le scénario : il suffirait que le taux d’intérêt sur la dette, 99,1% du PIB à ce jour, augmente de seulement 1,5%, pour passer de 0,9 à 2,4 % par exemple. La spirale dette/taux d’intérêt deviendrait alors très vite insupportable. Et il faudrait trouver un moyen de trancher dans le vif. Or, comme au Venezuela, on aura alors deux Frances qui se regarderont comme deux ennemis :
- Celle qui demande moins d’impôts et plus de liberté économique pour pouvoir respirer
- Et celle qui ne veut renoncer à aucune aide publique car tous les transferts sociaux sont dans la loi.
La France n’est pas le Venezuela ? On voudrait en être sûr. On n’en est pas totalement convaincu tant les gouvernements successifs de ces trente-cinq dernières années n’ont jamais réussi à baisser les dépenses publiques et/ou les transferts sociaux. Sachant aussi qu’à la suite des bas salaires il faudra bien envisager un jour des mesures pour les chômeurs et les gens au RSA. Et que, d’autre part, à l’issue du « Grand débat », d’autres cadeaux devront aussi être faits.
Fin document.
© Serge Darré février 2019
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