Quand les turcs ont pénétré une nouvelle fois dans le nord de la Syrie pour s'attaquer aux forces YPG la France a demandé "gentiment » l’arrêt des hostilités arguant que les YPG ont aidé l'ensemble des démocraties en étant la seule force luttant effectivement contre Daech au sol. Ce qui était vrai.
Mais pourquoi ne les défendre que pour cela ? En considérant, à la limite, que si Daech était complètement éliminé on pourrait en faire ce qu'on veut. Le franchissement de la frontière d'un pays voisin pour installer une milice islamiste à peine moins radicale que Daech n'est-il pas déjà assez scandaleux en soi ?
C'est que la France et l'UE sont en réalité gênées aux entournures car elles savent bien que la principale composante des YPG (on épargnera la signification du sigle) est le PKK syrien. Et qu'est-ce que le PKK syrien ? C'est l'émanation dans ce pays du Parti des Travailleurs du Kurdistan. Ce "parti" ayant un leader turc : Abdullah Öcalan, lui-même l'un des fondateurs du PKK "global".
Ce point ne souffre pas de discussion auprès des kurdes syriens ; comme le montre l'ouvrage "La commune du Rojava" - Editions Syllepse. Ils reconnaissent complètement Öcalan comme leur leader.
Ceci nous amène à envisager l'historique de cette organisation transnationale et à essayer de comprendre pourquoi elle est considérée comme terroriste par l’UE et la France.
- De la création du PKK à son évolution récente
On se réfère notamment à Wikipédia. Rappelant que les kurdes sont présents dans 4 pays limitrophes : Turquie (le plus grand nombre), Syrie, Irak et Iran. Ils ne se sont jamais vus reconnaitre un territoire propre mais, il faut le rappeler aussi, ils ne sont pas d’accord entre eux. Ainsi en Irak le PDK et l’UPK sont opposés l’un à l’autre. D’autre part le PDK est un ennemi juré du PKK. Et on peut signaler aussi qu’en Turquie même il y a des kurdes qui ne se reconnaissent pas dans ce parti, malgré les bons scores réalisés récemment aux élections par le HDP. Mais ce n’est pas en fait le composante « ethnique » qui va nous importer ici. On va voir pourquoi.
Le PKK a été fondé en 1978 dans le petit village de Fis. Dès 1979, il s’oppose par les armes à des clans kurdes, comme eux, mais jugés favorables au régime (c’est-à-dire collabos des turcs). En 1980, suite à un coup d’Etat militaire, la plupart des partis turcs sont démantelés et tous les militants connus emprisonnés. Wikipédia : « 2 000 membres présumés du PKK sont arrêtés et emprisonnés. La prison de Diyarbakir va être le théâtre d'actes de « résistance » qui vont jouer un grand rôle dans la construction de la martyrologie du PKK. Plusieurs militants s'immolent par le feu pour protester contre les tortures systématiques de prisonniers pratiquées par l'État turc. Mazlum Doğan, membre du Comité central, après une tentative d'évasion, se pend le 21 mars 1982, après avoir symboliquement allumé trois allumettes pour célébrer le Newroz, le Nouvel an kurde. Deux mois plus tard, le 18 mai 1982, quatre membres du PKK, dont le membre du Comité central Ferhat Kurtay, s'immolent par le feu pour « faire vivre la flamme de la résistance ».
Le PKK d’alors est à la fois une organisation « de gauche », ce qu’il est toujours, « chrétienne » au sens des premiers chrétiens, et identitaire, c’est à dire kurde avant tout. A partir de 1981 il va se lancer dans la lutte armée contre l’Etat turc au moyen, principalement, d’attentats contre des militaires. Il obtient des succès militaires relatifs et est rejoint par de nombreux jeunes. Ce qui va amener l’Etat turc à une répression féroce avec des morts civiles et d’importants déplacements de populations. Wikipédia : « Des milliers de villages sont évacués dans les années 1990 et des centaines de milliers de Kurdes sont forcés de quitter leur village ou ville. Avant d'entamer un recul progressif, laminé par la contre-offensive des autorités turques, le PKK contrôlait en 1991 une large portion du sud-est anatolien. Le fait que l'armée reprenne les rênes des opérations anti-PKK et vide quelque 4 000 villages de leurs habitants coupe ensuite le PKK de ses soutiens dans la population et, par la même occasion, de ses circuits de ravitaillement clandestins. »
Au milieu des années 90, le PKK crée ses premières unités combattantes purement féminines dont le modèle est Zeynep Kınacı (nom de code Zîlan) qui fait exploser sa ceinture d’explosifs au milieu d’une parade militaire (ici on est plutôt islamiste).
A la même époque l’organisation s’internationalise, accueillant des composantes syrienne, irakienne et iranienne, le tout dans la clandestinité ou en Europe de l’ouest car elle n’est évidemment tolérée nulle part.
Wikipédia : « En 1999, Abdullah Öcalan, fondateur du PKK est capturé au Kenya par les services secrets turcs, américains et israéliens, puis condamné à mort pour avoir fondé et dirigé une organisation considérée terroriste. Des manifestations, parfois violentes, ont lieu dans de nombreux pays. Ainsi, quatre membres du groupe sont tués lors d'une manifestation devant le consulat général d'Israël à Berlin pour protester contre le rôle du Mossad dans l'arrestation d'Öcalan. Une première réaction des militants et des sympathisants du PKK est le passage à des formes d'actions auto-sacrificielles : une douzaine de militants ont recours à des attentats-suicides, tandis qu'une soixantaine de sympathisants tentent de s'immoler par le feu (20 d'entre eux perdront la vie) ».
Malgré cette arrestation et le fait qu’il soit jusqu’à ce jour toujours emprisonné sur une île au large d’Istanbul, Öcalan, familièrement surnommé Apo, reste le chef, au moins spirituel du PKK. Personne n’a osé non plus se présenter comme son successeur mais il y des dissidents par rapport aux efforts de paix que l’on va examiner plus loin.
A partir de là on s’écarte de Wikipédia. En effet il est très important de signaler que sa doctrine a évolué, au moins depuis 1998, soit quelques mois avant son arrestation. On s’appuie sur le livre cité plus haut dont le sous-titre est « l’Alternative kurde à l’Etat-nation ». Apo pense depuis ce moment qu’il est inutile de réclamer l’indépendance du ou d’un Kurdistan – évolution tout à fait majeure. Il renonce à un pays en propre. C’est-à-dire qu’une large autonomie lui suffirait. Mais cela va même plus loin, car c’est un renoncement au nationalisme, ou, si le Kurdistan turc devenait autonome, il faudrait que la coexistence soit harmonieuse avec les turcs qui y vivent aussi, par exemple.
On cite (extrait de ses Carnets de prison) : « La démocratie communale naturelle s’appuiera sur des assemblées de village, de ville, d’agglomérations dont les délégués sont dotés de pouvoirs de décision. Ce qui signifie que le peuple et les communautés pourront décider de leur destin. Elle appelle tous les secteurs de la société, en particulier les jeunes et les femmes, à se doter de leurs propres organisations démocratiques et à se gouverner eux-mêmes. »
Mais est-ce que tout cela n’est que des déclarations d’intention ? Non car le fonctionnement démocratique et les valeurs de discipline prôné par Apo ont déjà été mis en œuvre sur le terrain et il s’est révélé extraordinairement efficace compte tenu d’un contexte plus que difficile :
- En Irak, le PKK a été la seule force à résister à Daech alors que l’armée régulière et toutes les autres milices fuyaient ou se rendaient
- En Syrie, avec la création d’une entité de fait, le Rojava où le PKK est allié, au sein des YPG avec des arabes et arméniens. C’est ce qui a permis aux EtatsUnis de fournir des armements alors que le PKK est toujours considéré comme « terroriste » - on y reviendra.
Mais ce fonctionnement démocratique, renforcé en quelque sorte par les guerres civiles où les armées d’occupation se concentrent sur d’autres objectifs (cas de la Syrie), ne date pas de l’émergence de Daech. On peut le voir dans le film « My Sweet Pepper Land » de Huner Saleem avec Golshifteh Farahani dans l’un des rôles principaux dont l’action se déroule en Iraq, où l’on voit déjà à l’œuvre les unités combattantes féminines.
Dans le même ordre d’idée, on doit citer le HDP. Ce parti est lié au PKK sans que cela soit officiel bien sûr. Parti kurde au départ il a su rassembler une proportion suffisante de non kurdes pour créer la surprise aux élections générales de 2015 où il dépassa 10% des voies (presque 13% en fait) ce qui signait son entrée au parlement. Dans la même veine que ce qui se pratique au Rojava pour les conseils municipaux, par exemple, il avait à sa tête conjointement un homme et une femme. Ce qui aurait pu être pratique en cas d’arrestation d’un des deux, l’autre prenant le relais : respectivement Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ. Sauf que les sbires d’Erdogan ont arrêté les deux le même jour, le 4 novembre 2016. Le même jour 9 députés de cette formation furent arrêtés aussi et, par la suite, nombre de maires élus. Dans ce pays merveilleusement démocratique qu’est la Turquie … Mais on y revient.
Est-ce à dire avant d’aborder le point 2 que le PKK a déposé les armes ? Non car pour qu’il y ait la paix il faut qu’une trêve soit signée. Mais, pour l’essentiel, il s’agit tout au plus d’une autodéfense. D’autre part, il ne faut pas se tromper, d’anciens membres refusent la politique de la main tendue d’Apo et continuent les actions terroristes. Exemple : « Les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), un groupe radical dissident du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), a revendiqué dimanche 6 novembre 2016 l'attaque à la voiture piégée contre un commissariat de Diyarbakir dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4 novembre 2016, qui a fait 11 morts. » (Juste au moment des arrestations massives). Mais ce ne sont pas les mêmes personnes.
Pour faire un parallèle avec l'IRA nord-irlandaise, quand l'IRA a renoncé à la lutte armée il y a eu une Faction dissidente qui a continué les attentats. Si Londres et les Unionistes de Belfast avaient pris cela pour prétexte les Accords du Vendredi Saint de 1998 - Northern Ireland Peace Agreement dans la terminologie officielle- n'auraient jamais été signés.
- Le PKK une organisation terroriste ?
Les Turcs s'y connaissent en massacres de masse et déplacements de populations. En 1915 le Génocide arménien a coûté la vie à plus ou moins 1,5 million de personnes : hommes, femmes, enfants, vieillards. C'est du passé ? L'offensive turque sur le Nord-Est syrien pour « chasser les terroristes » a entraîné le déplacement de plus ou moins (là aussi on n’est pas à 10 000 près) 300 000 personnes obligées de fuir leur habitation.
On en a fini ? On ne va pas parler du traitement des autres chrétiens (« grecs » notamment, en fait turcs de rite chrétien orthodoxe) au début du XXe siècle. Non, on va parler de la France. Pendant que l'armée turque lâchait ses bombes, l'hebdomadaire Marianne nous apprend que les banques françaises ont fermé les comptes de certains responsables du PKK en France sur demande des autorités (police ou justice ? On n'a pas le détail). Dégelasse ? Un peu mais juste d'un point de vue juridique. Cela rappelle seulement le bon maréchal Pétain et la France collabo.
Il semble, tout d’abord, que la France n’ait pas de doctrine propre pour ce qui est de déterminer quelles sont les organisations considérées comme terroristes. C’est très ennuyeux mais c’est comme cela et on admet qu'il faut un minimum de coordination. Et, dans ce cadre, signalons que le Conseil de l’Europe a su évoluer. Ainsi ne sont plus considérées comme organisations terroristes l’IRA (armée républicaine Nord Irlandaise) depuis 2009, l’ETA (qui combattait pour l’indépendance du pays basque espagnol) depuis 2009 également ainsi que les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) depuis 2016. De sorte qu’on n’entre pas dans la liste comme en enfer ; des réévaluations sont possibles. Mais on imagine déjà que cela n’est pas possible tant que le principal pays concerné n’a pas donné son aval, soit respectivement dans les cas cités le Royaume Uni, l’Espagne et la Colombie.
Or le PKK n'a semble-t-il jamais été « réévalué » après avoir été mis sur la liste des organisations terroristes suite aux attentats du 11 septembre 2001. Et dans le « en même temps » macronien, l'OTAN est réputée en «mort cérébrale » ET – déclarations du même lors de la visite d'Erdogan en janvier2018 : «nous prenons les mesures nécessaires sur notre sol pour lutter contre le PKK que nous considérons comme une organisation terroriste». (Source quotidien Libération) Difficile d'être plus schizophrène. Ce qui pose aussi la question de la diplomatie française. Son chef, Jean-Yves le Drian est invisible et, plus à la base, on ne sait pas s'il y a encore des services à qui on demande de produire des analyses ? On a peur que non. Donc ce serait la Quai d’Orsay qui serait en «mort cérébrale » ? On n’en est pas loin.
Et Erdogan d'ailleurs ? Il a été d'accord pour des négociations de paix avec l'ennemi kurde notamment en 2013 et puis, du jour au lendemain, il y a mis fin. On peut imaginer que c'est le score réalisé par le HDP aux élections de 2015 (Cf. ci-dessus) qui l'a convaincu de revenir à une guerre totale.
Mais, à la fin, pourquoi le PKK est-il toujours dans cette liste des organisations terroristes ? Pour beaucoup, il finance ses unités combattantes avec l’argent de la drogue. C’est probablement vrai, on n’ira pas plus loin dans l’investigation, mais il est en guerre contre l’Etat turc et toute guerre doit être financée, donc cela n’est pas une raison suffisante à mon sens. Un autre argument est qu’il y a toujours des attentats contre les militaires turcs : combien ? à quand remonte le dernier ? rien de très convaincant non plus.
Un argument peut-être plus convaincant serait qu’il continue à exercer une forme de terrorisme à l’encontre des kurdes « réfractaires » (on a vu plus haut qu’il n’y a pas homogénéité au sein de cette minorité).
On cite Faruk Gun internaute sur le site Quora, qui répond à la question « comment peut-on considérer comme terroriste une armée qui a sauvé la vie à 20 000 yézidis ? ». Sa réponse : « Disons que le PKK a sauvé 20 000 personnes mais jusqu’alors pendant 45 ans ils ont tué 40 000 personnes surtout des civils.
Jusqu’à présent ils tuent des civils mais les médias occidentaux ne montrent que le côté “combattants de la liberté” !
Je suis un kurde qui ai grandi comme un kurde en Turquie. Le PKK a attaqué mon village 3 fois et a tué des civils qui étaient kurdes aussi.”
Cependant, malgré la validité de ce témoignage, on n’a pas de trace récente, c’est-à-dire en gros depuis 2010, d’attaques du PKK contre des civils ou même militaires turcs, sauf récemment, à la suite de l'attentat antikurde de Suruç, ville-frontière turque, attribué à un kamikaze ayant effectué plusieurs séjours en Syrie avec l'État islamique, en juillet 2015 qui a coûté la vie à 32 volontaires de la Fédération des associations de jeunes socialistes, venus en soutien à la ville de Kobané, côté syrien. Cet attentat dont les kurdes ont été les seules victimes a servi à Erdogan de prétexte pour attaquer tout le monde : Daech mais aussi le PKK et des organisations civiles. Il y a eu évidemment des ripostes sur le moment à ces attaques multiples. Et sauf une bombe par ci par là en direction des positions turques, mais la guerre c’est évidemment aussi une guerre de position, comme la défense dans un sport co.
En réalité, outre le score du HDP, l'attentat antikurde de Suruç joue un rôle très important. Erdogan fait comme si c’était les kurdes qui avaient redéclenché les hostilités et il relance une politique de quasi extermination comme l’avait fait l’armée il y a quelques décennies. On cite : « Les opérations ont commencé (en 2016) après l’été dernier après que le cessez le feu de 2013 ait été dénoncé. Des villes comme Cizre et Sur, la plus grande ville du sud-est après Diyarbakir, ont été réduites en cendres. Des organisations humanitaires comme Amnesty International et Human Rights Watch ont publié des rapports accusant l’armée turque d’usage disproportionné de la violence, ce qui a conduit à des centaines de morts civiles, y compris des enfants et personnes âgées. Au moins 400 000 personnes ont dû fuir les villes assiégées. Ce mois-ci les Nations Unies ont aussi fait part de leurs inquiétudes, en demandant aux autorités turques un accès à ces villes pour mesurer les violations aux droits de l’homme. Aucune permission n’est venue. »
La Turquie c’est en Europe ? En 2016, 400 000 personnes ont dû fuir des villes assiégées en Europe et on doit trouver cela normal ! (Même si, pour être tout à fait exact, les villes n’ont pas été totalement détruites, une partie seulement comme à Alep en Syrie et même si beaucoup d’habitants ont pu revenir après quelques semaines).
Alors d’accord, la Turquie fait partie de l’Otan et elle est un marché très intéressant pour les armes et l’automobile et aspire théoriquement à intégrer l’UE, mais trop c’est trop. On revient plus loin sur la Turquie et sur ce que devrait faire la France. Mais, pour le moins, le statut du PKK doit être reconsidéré comme cela a été fait pour l’Ira et l’Eta.
- La Turquie est-elle réellement une démocratie ?
Cette question peut paraître saugrenue dans la mesure où, dans ce pays, il y a des élections à peu près fiables. C’était même le seul pays musulman où cela était vrai jusqu’aux Printemps arabes.
Sauf que : 1er hic, depuis le troisième mandat d’Erdogan comme premier ministre, en 2011, son parti : l’AKP n’a eu de cesse de museler la presse. Dans ces conditions, certes, tout le monde peut aller voter, mais n’ont le droit d’être informés que ceux qui ont accès aux médias étrangers. On cite l’article « Erdogan » de Wikipédia : « Ce durcissement du gouvernement turc contre la liberté de la presse s'accentue au cours de son mandat. En 2015, 15 chaînes de télévision sont ainsi saisies ou interdites d’émettre par le pouvoir, des centaines de journalistes sont sous le coup de poursuites pour avoir « insulté le président ». En novembre 2015, les journalistes Can Dündar et Erdem Gül sont accusés d'«espionnage » pour avoir publié en mai un article sur les livraisons d'armes des services secrets turcs (MIT) à des groupes rebelles en Syrie. …
Les procès pour injure envers M. Erdogan se sont multipliés depuis son élection à la tête de l’État en août 2014. Environ 2 000 procédures judiciaires ont été lancées en Turquie pour ce motif entre août 2014 et avril 2015. En 2017, près de 3 000 journalistes ont perdu leur travail, souvent parce que le média pour lequel ils travaillaient a été interdit. »
A ce stade, on recommande de prendre un bon café turc et de se relaxer car on n’en est qu’au début.
Ensuite, si les résultats électoraux sont généralement réputés fiables à l’étranger, il y a tout de même deux exceptions notables :
- Le référendum constitutionnel qui s'est déroulé samedi 16 avril 2017 pour donner plus de pouvoirs au président de la République. Officiellement les électeurs ont dit oui à 51% mais « Une mission d'observation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Turquie, pour surveiller le référendum constitutionnel portant sur le renforcement des pouvoirs du président, qui s'est déroulé dimanche 16 avril 2017, a indiqué que le scrutin "ne répondait pas aux standards du Conseil de l'Europe", provoquant la colère de la Turquie, qui a accusé les observateurs de l'OSCE "de véhiculer des stéréotypes" sur la Turquie, et "de ne pas respecter le principe d'impartialité". Donc, soyons clairs, les résultats ont été bidouillés car cela était trop important pour Erdogan.
- Elections pour la mairie d’Istanbul en mars 2019. Le résultat lui étant défavorable, il a fait annuler le scrutin. Au final l’opposition l’a tout de même emporté lors d’un deuxième vote mais on est encore loin des standards démocratiques.
Vient ensuite la question des prisonniers politiques. Hormis les journalistes déjà cités, ils se comptent par dizaines de milliers. Comme pour le cas de Suruç cité plus haut, Erdogan a profité d’un coup d’Etat réel en juillet 2016 pour nettoyer toute forme de critique ou d’opposition. Comme l’a souligné le Conseil de l’Europe en avril 2017, (Reuters) « L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Apec) a ouvert mardi une procédure de suivi concernant la Turquie, en raison des nombreuses violations de l’Etat de droit et des droits de l’homme constatées dans le pays.
La Turquie a déjà fait l’objet d’une procédure de suivi entre 1996 et 2004. Cette mesure soumet le pays à un contrôle plus étroit du respect des engagements auxquels il a souscrit en adhérant au Conseil de l’Europe, organisme de défense des droits de l'homme qui comprend 47 Etats membres dont 28 sont membres de l'Union européenne.
La résolution ouvrant officiellement cette procédure contre la Turquie a été approuvée par 113 voix, contre 45 et 12 abstentions.
Pour justifier cette décision, l’Assemblée invoque la régression démocratique du pays qui s'est accentuée depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet dernier.
Elle "s’inquiète que l’état d’urgence (qui a suivi) serve non seulement à exclure des institutions étatiques les personnes impliquées dans le coup d’Etat, mais également à faire taire toutes les voix critiques et à générer un climat de crainte parmi les citoyens ordinaires et les universitaires, au sein des organisations non gouvernementales et des médias indépendants, au risque d’ébranler les fondations d’un Etat démocratique".
Le ministère turc des Affaires étrangères a fermement condamné ce qu'il qualifie de "décision injuste" et estimé que la xénophobie et de l'islamophobie "se propageaient de façon violente" en Europe.
L'Assemblée veut protester contre la levée de l’immunité de 154 parlementaires et l’arrestation de douze d’entre eux, celle de plus de 150 journalistes ainsi que les purges qui ont touché quelque 150.000 agents de la fonction publique. »
Encore ces arrestations massives de fonctionnaires, dont militaires et policiers n’en étaient alors qu’à leur début.
Source LCI octobre 2016 : « Turquie : les chiffres hallucinants de la grande purge d'Erdogan
Plus de 12.000 policiers ont été mis à pied en Turquie pour des liens présumés avec l'ex-prédicateur Fethullah Gülen accusé d'avoir ourdi le putsch avorté de la mi-juillet, a annoncé la police mardi. Sur 12.801 policiers mis à pied, 2.523 sont des gradés, a précisé la police dans un communiqué. La force de police en Turquie compte quelque 270.000 hommes et femmes.
Selon le dernier bilan connu, près de 32.200 fonctionnaires sur les 3 millions que compte l'Etat turc ont été suspendus ou démis de leurs fonctions. L'administration de l'Education nationale du pays est la plus affectée par la purge. En tout, 15.200 enseignants ont été suspendus, 21.000 personnes travaillant dans l'éducation privée ont perdu leur licence et les 1.577 doyens des universités publiques et privées ont été mis à pied. Enfin, 1043 écoles privées, 15 universités et 35 centres hospitaliers ont été fermés. (Ah oui, on a failli oublier, il y a des milliers de fonctionnaires qui ne sont pas en prison mais qui ont « seulement » perdu leur emploi du jour au lendemain)
Mercredi 27 juillet, les autorités du pays avaient donc annoncé qu'ils avaient ordonné la fermeture de 45 journaux et de 16 chaînes de télévision. Trois agences de presse, 23 stations de radio, 15 magazines et 29 maisons d’édition ont également été fermés, tandis que 47 mandats d’arrêt avaient été délivrés à l’encontre de journalistes. Lundi 25 juillet, son avertissement avait déjà été mis à exécution, 42 journalistes ayant en effet été visés par un mandat d'arrêt.
Au lendemain du putsch raté à la mi-juillet, l'armée a été la première institution visée par la purge d'Etat. Sur les 13.000 personnes arrêtées et placées en garde à vue, on comptait 6.000 à 8.000 militaires selon les différentes sources. Sur les 360 généraux que compte l'armée turque, 118 avaient été placés en garde à vue et 99 ont été inculpés par la justice. Mercredi 27 juillet, le pouvoir turc informait par ailleurs que 149 généraux et amiraux avaient été limogés "pour leur complicité dans la tentative de coup d’Etat".
Mais les magistrats ne sont pas en reste : 2.854 juges et procureurs étaient placés en garde à vue au lendemain de la tentative de coup d'Etat, dont deux membres de la Cour constitutionnelle critiques du pouvoir d'Ankara. En outre, selon un décompte réalisé par l'AFP fin juillet, 5.837 personnes ont été placées en détention depuis le 16 juillet. » Et les juges, les avocats et les enseignants, il ne faut surtout pas les oublier ceux-là ! Bande de fumiers !
Et on n’oublie pas non plus ce qui a déjà été dit plus haut. L’armée turque a franchi la frontière syrienne pour installer dans des villes du nord une milice islamiste qui lui est inféodée. Et, au fait, les liens avec Daech dont on a vu ci-dessus que cela a coûté la prison à des journalistes trop bien informés. Certes, à certains moments la Turquie a combattu cette organisation, c’est indéniable, mais à d’autres moments elle l’a aidé, par exemple contre les kurdes, ou bien elle a fermé les yeux sur les passages de la frontière par les apprentis djihadistes étrangers. D’ailleurs, leur chef Al Bagdadi a été tué à très peu de kilomètres de la frontière turque, au nord de l’enclave d’Idlib. Cela n’est-il pas une preuve suffisante ? Alors bien sûr ils ont laissé passer l’hélicoptère des forces spéciales US qui devait survoler le territoire, mais avaient-il le choix ? On ne développe pas plus mais on peut regarder, entre autres, cet autre témoignage : « https://www.lejdd.fr/International/enquete-entre-la-turquie-et-daech-des-echanges-de-prisonniers-qui-interrogent-3620696 »
D’autre part, puisqu’on vient de citer l’enclave d’Idlib, si les rapports avec Daech étaient troubles, ceux avec Al Qaïda (appelé Front al-Nosra en Syrie) ne souffrent aucune ambiguïté, Ankara défend expressément cette autre peste brune.
Conclusion. Il y a des élections, mais, pour le reste, on n’est absolument pas dans un Etat démocratique. Rappelant qu’Hitler aussi était arrivé au pouvoir par les urnes. Il me semble, sans exagération, que l’on est exactement dans le même cas. Disons que la Turquie de ce jour c’est l’Allemagne de 1937, pas plus pas moins.
Tiens, pour rappel avec les autodafés de ces années-là, source Wikipédia : » Au moins de juin 2016, une trentaine de maisons d'éditions sont contraintes de fermer à la suite d'un décret gouvernemental. Le 11 décembre 2017, le ministre de la Culture turc Numan Kurtulmuş a révélé que 139 141 livres avaient été retirés des 1 142 bibliothèques sous sa juridiction depuis le mois de juin 2016. Il s'agit en partie de titres écrits par le Mouvement Gülen, ou édités par les maisons d'éditions fermées par le décret de juin 2016, accusés d'être de la propagande terroriste. Mais parmi ces livres se trouvent des ouvrages de Baruch Spinoza, Albert Camus ou Louis Althusser, tous accusés d'avoir fait partie d'organisations terroristes. Se trouve également un manuel de mathématiques dans lequel un problème évoquait « un point F » et « un point G », pensant avoir affaire à une référence déguisée à Fetullah Gülen. »
- Que devrait faire la France ?
La France doit tout d’abord affirmer solennellement qu’elle s’opposera à l’entrée de la Turquie dans l’UE jusqu’au retour de la démocratie, a minima, c’est-à-dire plus de prisonniers politiques et plus de guerre contre sa propre population.
Jusqu’ici, c’est la partie la plus simple.
En outre, dès le jour suivant, elle doit reconnaître officiellement le PKK comme une organisation démocratique et légitime, par la loi. Là on entre un peu plus dans la difficulté car les responsables du Quai d’Orsay vont devoir effectivement se sortir les doigts du luc pour aller justifier cela auprès de nos partenaires européens. Dans l'optique évidente que l'ensemble de l'UE ait à court ou moyen terme la même position.
L'étape suivante est évidemment d'aider très concrètement les YPG sur le territoire syrien. Tâche évidemment très difficile car on ne peut pas passer par la Turquie et on n'a plus non plus de lien diplomatique avec le pouvoir de Damas. Mais tâche pas impossible non plus car on peut passer par l'Iraq avec lequel nous avons de bonnes relations. Et, si cela est difficile, cela compensera aussi le fait que la France n'a pas aidé les républicains espagnols entre 1936 et 1939 dans leur combat contre la dictature militaire alors que là, la frontière était immédiate.
Les actions à mener seraient de 4 ordres :
- Livrer des armes, non point offensives mais défensives. Ce pourraient être des lance-roquettes anti chars et anti aériens, des fusils de précision et des grenades, voire quelques drones. Ces armes pourraient être surveillées par des forces spéciales françaises pour s'assurer qu'elles ne passent pas la frontière et ne sont donc utilisées qu'à titre défensif. (On rappelle que le PKK est une organisation unique). Il s'agit de s'assurer que lors de la prochaine attaque des turcs avec leurs supplétifs ils encourent des pertes importantes, susceptibles de « retourner » l'opinion publique de ce pays.
- Aider financièrement à l'édification et la tenue d'une prison qui accueillera les djihadistes français en premier lieu, mais aussi tunisiens. Cela évitera aussi que ces braves gens viennent se faire juger en France et soient dehors au bout de cinq ans. Ils resteraient donc là-bas pour une durée indéfinie.
- Aider financièrement à l'édification et la tenue d'un hôpital. Celui-ci sera notamment spécialisé dans le traitement des blessures de guerre.
- Fournir, pour partie à titre gratuit, des biens d'équipement qui sont si difficiles à approvisionner là-bas comme médicaments, pièces de rechange … On pourrait envisager un budget annuel de 300 millions d'euros pendant 4 ans, par exemple. Ce point sera à étudier aussi avec le pouvoir syrien, ce qui suppose un minimum de coordination avec lui.
Et c'est là qu'on entre dans la difficulté maximum. Bien sûr, les turcs ne pourront pas rester sans réaction. La France va donc perdre des contrats d'armement et civils. Comment en irait-il autrement ?
D'accord, mais outre la guerre civile espagnole, il faut se souvenir aussi des Accords de Munich de 1938 au cours desquels nous avions largué la Tchécoslovaquie. N'est-il pas temps d'expier ces fautes du passé ?
Toujours est-il que c’est à partir du moment où cette aide directe aux YPG va prendre forme que Erdogan va déclencher sa bombe atomique. En effet, en vertu de l’accord UE – Turquie de mars 2016, ce pays s’est engagé d’une part à ne pas laisser quiconque embarquer pour les côtes grecques, d’autre part à reprendre les candidats à l’immigration renvoyés par la Grèce. Cet accord est réputé avoir tari considérablement le flux de réfugiés, qui avait atteint plus d’un million en 2015, spécialement en provenance de la Syrie en guerre. Il pourra, en conséquence, dénoncer en partie ou complètement l’accord.
Mais la France peut riposter déjà avec le tourisme qui est très important pour l’économie turque. Elle peut interdire tout vol de et vers ce pays ce qui calmera le gouvernement d’Ankara. D’autre part, il n’est pas évident que tous les syriens (on évalue leur nombre à plus ou moins 3 millions en Turquie) seront prêts à partir : certains ont trouvé un travail ou autre moyen de subsistance en Turquie et ils ne souhaitent pas s’éloigner trop de leur pays d’origine, ayant l’espoir d’y retourner un jour. En outre, la frontière a été aussi déplacée, par exemple en Macédoine ou Bosnie qui bloquent aussi l’afflux de réfugiés. Et puis il n’est pas certain que l’accord soit effectivement suivi, le tarissement du flux s’expliquant aussi par d’autres causes. Cependant il ne faut pas s’illusionner non plus sur le fait que beaucoup souhaiteront tout de même prendre la route.
Dès lors, la France, si elle veut faire mieux qu’en 1938, doit prendre ses responsabilités. On préconise qu’elle accepte 5 000 familles syriennes avec enfants par semestre, soit près de 25 000 personnes. Pourquoi chaque semestre ? Parce que cela durera tant qu’une solution politique au conflit syrien n’aura pas été trouvée. Mais verra-t-on jamais la fin de ce conflit ? On peut penser qu’au Moyen Orient les gens adorent se faire la guerre pour l’éternité. Oui, mais d’autre part, le régime de Damas souffre tout de même et souhaite en voir la fin. C’est pourquoi des discussions sont en cours d’une part sous l’égide de l’ONU, qui se tiennent à Genève, d’autre part pilotées par la Russie l’Iran et la Turquie eh oui ! dites processus d’Astana. On peut croire raisonnablement que la Russie et l’Iran qui sont affaiblies aussi du fait de leur boycott par l’Occident finiront bien un jour par persuader Bachar El Assad qu’il doit céder.
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© Serge Darré 2019
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